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Quand Marion Brunet repeint la Provence en noir

23/02/2108 -

Sous le soleil écrasant du Vaucluse le plus détestable, celui qui génère tristement à longueur d'année faits divers sur faits divers, dans un lotissement médiocre du côté d'Orgon ou des faubourgs de Cavaillon, une famille se déchire lentement. Parce que l'aînée des deux filles est tombée enceinte, à 16 ans, parce que sa cadette ne rentre pas dans les codes familiaux locaux, parce que le voisin de toujours, Saïd, qui était comme un fils, est rattrapé par le racisme ordinaire, parce que les grands-parents sont dur au mal et sans tolérance, parce que chacun a le sentiment d'avoir raté sa vie ou de n'avoir pas d'autre option que de la foirer, parce qu'il fait trop chaud et trop moite, parce que les bourgeois sont juste là, à côté, et semblent se moquer, pour une infinité de raisons, bonnes ou mauvaises, Manuel et les siens sont au bord de l'effondrement, dans l'interstice infime entre violence et abattement, entre mort et sommeil... On pensera peut-être en lisant L’été circulaire de Marion Brunet à L’été meurtrier de Sébastien Japrisot (autre marseillais), à Corniche Kennedy de Maylis de Kerangal, à L’été en pente douce, de Pierre Pelot, tous adaptés au cinéma avec succès. Ou à un certain nombre (grand) de romans américains, de films américains, de séries américaines... Car une adolescente en colère, une famille qui se déchire, de la violence à fleur de peau, c’est un cocktail que les habitués du roman noir connaissent assez bien. Mais Marion Brunet (marseillaise, dont c’est le septième ouvrage et le premier chez Albin Michel) s’approprie cette matière avec un réalisme qui atteint sa cible. Grandie dans le Vaucluse, elle donne l'impression de connaître ses jeunes héroïnes de l'intérieur, son Eté circulaire sonne farouchement et indéniablement vrai. Au cœur du roman, Céline et Jo (Johanna), ses deux adolescentes, nous ouvrent les portes d’un monde dur et irascible, un univers de pavillons miteux, de fêtes foraines décaties, de trafics minables, de rêves brisés. Un univers prêt à l’explosion. Son Vaucluse revisité avec exactitude sous un soleil écrasant ressemble à un bled pourri du Kansas, du Missouri ou de la Virginie occidentale, un de ces endroits où les habitants auraient été comme piégés par la marche du monde. Etouffant. Mais c'est bien là une des qualités que l'on attend d'un roman noir.

> pour Words from Mars > Paul Hardman
"L’été circulaire", par Marion Brunet, éd. Albin Michel, 18 euros.

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